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Saint-Gobain

Mais d’autres produits sont lancés, parmi lesquels les « premix » (cocktails d’alcool et de fruits), qui sont finalement abandonnés devant le peu de succès. Les nouveaux propriétaires appliquent en outre à leurs réseaux de distribution des méthodes éprouvées au Royaume-Uni : les commerciaux ne se déplacent plus dans les bistrots, tout est géré via des tableaux Excel et des centres d’appel, au risque de voir les établissements clients passer chez la concurrence. Enfin, le logo subit un bref lifting, le rouge historique cède la place à un gris métal. Kronenbourg est en perte d’identité. C’est un fiasco.

Et lorsqu’en 2008, le danois Carlsberg associé à Heineken lâche plus de 10 milliards d’euros pour s’emparer de S&N et mettre la main sur le numéro un français, son objectif est de « remettre Kronenbourg dans la bonne direction ». A savoir, revenir aux fondamentaux sur un secteur chahuté à l’heure où la réglementation sur la consommation d’alcool se durcit et où le marché de la bière trinque.

La clef de la réussite se résume en une phrase : « Il faut une offre qui répond à la demande, explique Jean Hansmaennel. C’est la raison d’être d’une entreprise et peu importe sa rentabilité ou à qui elle appartient. » Pour y parvenir, Kronenbourg a cultivé son sens du marketing. Il a su anticiper les tendances de la consommation de masse, en inaugurant dès 1963, année de l’ouverture du premier supermarché en France, son format « pack » de 6 bouteilles. Les Hatt, aux manettes jusqu’en 1970, ont vu juste : suivront les packs de 10 et, plus de dix ans plus tard, les mégapacks de 24 et 26x25cl.

Succès oblige, il faut produire davantage. Les activités de la brasserie K1 de Cronenbourg seront progressivement transférées à une vingtaine de kilomètres, sur le site K2 d’Obernai, inauguré en 1969. Puis, c’est l’explosion de la production : elle passe à 3 millions d’hectolitres par an en 1971, à 6 millions en 1976. Depuis le milieu des années 1980, de 7 à 7,5 millions d’hectolitres de bière sortent chaque année de la brasserie d’Obernai, soit « près de 40% de la production nationale », résume Jean Hansmaennel, ce qui en fait le plus important site brassicole français et l’un des principaux en Europe.


Les années 1970, c’est aussi l’époque où l’entreprise familiale, à la tête de laquelle huit générations de Hatt se sont succédé, change de propriétaire pour assurer sa croissance.
« Depuis sa création jusqu'à cette époque, l’entreprise a traversé deux guerres, des fermetures, des réouvertures, des conflits, mais elle s’est toujours relevée grâce à la fécondité familiale. Une famille peut se déchirer, l’important c’est qu’il y ait une gouvernance », analyse Jean Hansmaennel.


En 1970, Jérôme Hatt cède l’entreprise à BSN, le groupe, présidé par Antoine Riboud, qui deviendra Groupe Danone en 1994. Elle fusionne en janvier 1987 avec l’autre branche bière de BSN, la SEB (Société européenne de Brasserie), qui commercialise les marques Kanterbräu et Gold, et devient ainsi Brasseries Kronenbourg. Après une restructuration assez drastique, elle devient la filiale brassicole d’un groupe agroalimentaire et son activité se concentre sur quatre brasseries (contre 24 en 1986) : les sites K1 à Strasbourg et K2 à Obernai, Champigneulles et Rennes.

1664. C’est le nom de son produit phare et aussi son année de naissance. Il y a plus de 350 ans démarrait la saga Kronenbourg. En Alsace, Jérôme Hatt, tonnelier-brasseur, fonde la brasserie Le Canon, en plein centre de Strasbourg. Elle produit à ses débuts 2.500 hectolitres de bière par an. Face aux fréquentes crues de l’Ill, affluent du Rhin, l’établissement est ensuite transféré sur les hauteurs de la ville, dans le quartier de Cronenbourg.


En 1922, l’entreprise familiale s’agrandit et acquiert la prestigieuse Brasserie du Tigre. A cette occasion, elle lance la bière Tigre Bock, l’ancêtre de la Kronenbourg, qui se classe numéro un des ventes en France en à peine un an. La production annuelle de l’entreprise est alors déjà passée à 130.000 hectolitres.


Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, deux inventions majeures vont permettre aux brasseries, rebaptisées « Kronenbourg » en référence au quartier alsacien (le C est néanmoins remplacé par un K, pour accentuer la consonance germanique, selon Jérôme Hatt, huitième du nom), de grandir encore.


D’abord, une petite bouteille capsulée est lancée en 1949 puis, trois ans plus tard, la désormais célèbre bière 1664 : un clin d’œil aux origines qui sera couronné de succès, puisque la 1664 est aujourd’hui encore la bière française la plus vendue au monde, « aussi bien en volume qu’en valeur », assure Jean Hansmaennel, vice-président Corporate Affairs de Kronenbourg et président de la Fondation Kronenbourg.




Kronenbourg,

le roi du marketing

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Mellerio

DCNS

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Le célèbre brasseur alsacien 

a dépassé les 350 ans. 

Sa capacité à proposer

des produits innovants mais

aussi à capter les nouvelles tendances de consommation

et à capitaliser sur ses marques expliquent en bonne partie

sa longévité.

C’est dans le quartier de Cronenbourg, sur les hauteurs de Strasbourg, que les brasseries s’installent en 1850. Elles en tireront leur nom, Kronenbourg, adopté en 1947. 

En 1922, l’entreprise familiale lance la bière Tigre Bock.

A partir de 1969, les activités de la brasserie d’origine, à Cronenbourg, 

sont progressivement transférées sur un site plus grand, à Obernai.

L’aKrobat, ce célèbre personnage du garçon de café, est né

en 1997 sous le crayon de Thierry Aubert.

En juin 2000, le groupe Danone, qui veut se recentrer sur les produits laitiers, les eaux minérales et les biscuits, cède les Brasseries Kronenbourg à l’écossais Scottish & Newcastle, alors quatrième brasseur européen. Une nouvelle jeunesse, diront certains, pour Kronenbourg qui semblait en panne de stratégie. Le début de la fin, pour d’autres.


Certes, les dépenses de pub augmentent. Le renouveau passe par la commercialisation de nouvelles marques en France, via des campagnes publicitaires drôles et originales : l’irlandaise Beamish et l’australienne Foster’s font ainsi leur apparition sur le marché français. Le groupe capitalise aussi sur sa vedette 1664 : sa saveur est légèrement modifiée, elle est liftée, remodelée, réétiquetée, et prête à être exportée, en premier lieu au Royaume-Uni, mais aussi en Irlande, aux Etats-Unis, au Canada, au Vietnam ou encore à Hong Kong. Kronenbourg rattrape aussi son retard sur le segment des bières spéciales, mettant en avant sa Grimbergen, bière belge d’abbaye conçue sous le contrôle des moines trappistes. Monsieur K, l’« aKrobate » garçon de café, fait, en outre, son apparition. Les bières aromatisées connaissent enfin un nouvel essor, grâce à la stratégie de « marque ombrelle » : Kronenbourg décline des variétés autour de ses produits phares ; c’est la Kronenbourg Fizz, ou la 1664 Rhum Spirit…



En Alsace, plus de 17 millions d’euros ont été investis dans un nouveau centre de R&D, mais la brasserie d’Obernai ne tourne pas à plein. Kronenbourg souffre, outre son problème d’identité, de la désaffection des Français pour les bières d’entrée et de milieu de gamme. Ses ventes chutent et le chiffre d’affaires dévisse, passant de près de 1 milliard en 2004 à 829 millions d’euros en 2008. Surtout, la grande rivale Heineken (Affligem, Pelforth, Desperados…) prend le dessus en valeur : Kronenbourg se vend plus, mais rapporte moins.


Là encore, cependant, le groupe va savoir innover pour rebondir, même s’il n’échappe pas à un plan de restructuration sévère, avec 216 postes sur 1.400 supprimés entre 2009 et 2011. Un budget sans précédent est ainsi alloué à la publicité et à la stratégie en magasins. Dans le même temps, Kronenbourg se sépare de sa branche distribution pour se recentrer sur le cœur du métier de brasseur. Les gammes de produits sont élargies et déclinées sous différentes marques, à l’image de la Skoll, lancée début 2013. La nouvelle équipe met aussi l’accent sur les bières qui tournent bien : Kronenbourg l’historique, Grimbergen la spéciale, Carlsberg l’internationale et 1664 la blonde. Cette dernière est, par exemple, déclinée en 6 nouvelles versions, en plus de la 1664 originelle. Le développement se fait enfin sur de nouveaux segments : des bières fruitées, de dégustation, ou spéciales sont conçues et commercialisées. Dernière trouvaille : la Tourtel twist, une bière 100% sans alcool lancée l’année dernière. A Obernai, le centre de R&D planche sur tous les nouveaux développements pour le groupe Carlsberg : bouteilles, saveurs, emballages, éditions spéciales, partenariats… C’est le « centre névralgique », résume Jean Hansmaennel.



Sur un marché qui continue de baisser, la part de Kronenbourg s’est finalement stabilisée autour de 30%. Son chiffre d’affaires remonte : de 813 millions en 2009, il passe à 932 millions en 2013, année pourtant « catastrophique » selon les industriels, qui ont subi les conséquences dans les rayons de la hausse de 160% des droits d’accise, cet impôt indirect perçu sur la consommation de certains produits.


Aujourd’hui, les Brasseries Kronenbourg emploient 1.210 personnes en France, réparties entre le site de production d’Obernai (800 salariés), le siège social de Strasbourg et le pôle marketing de Boulogne-Billancourt. Le cœur de métier, brasseur de bière, n’a jamais changé en 350 ans, mais il y a plusieurs façons de l’exercer : faire de la bière classique, sans alcool, avec du riz, du houblon … L’essor des brasseries et des micro-brasseries (on en compte au total près de 800 en France aujourd’hui, contre une centaine il y a dix ans) offre d’ailleurs de belles perspectives au marché de la bière. « C’est un secteur que l’on redécouvre, conclut Jean Hansmaennel, car beaucoup d’idées reçues et fausses ont la vie dure », alors même que la bière est inscrite au « Patrimoine de France » depuis 2014.


Très inspirée, l’une des dernières campagnes de promotion organisée par l’association Brasseurs de France s’intitulait d’ailleurs « Brassons les idées reçues »…


Sophie Rahal

                   

Photos : Kronenbourg - L'abus d'alcool est dangereux pour la santé

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« Le marché

de la bière est un secteur

que l’on redécouvre »

En 2008, l'objectif des repreneurs est de « remettre Kronenbourg dans la bonne direction »

« La 1664 est

la bière française la plus vendue

au monde »